Avant de comparer, posons les bases. Le reggae roots, né dans les années 1960, est profondément ancré dans des questions spirituelles, culturelles et politiques portées par des artistes légendaires comme Bob Marley, Peter Tosh ou Burning Spear. Il est le porte-voix d’un peuple en quête de justice et de liberté. Avec ses rythmes à contretemps et ses mélodies chantantes, il reste une musique intemporelle.
Le dancehall, en revanche, surgit des ghettos jamaïcains à la fin des années 1970. Plus brut, parfois provocateur, il injecte de l'énergie et un côté street culture au reggae. C’est un son taillé pour les sound systems et les dancefloors surchauffés, porté par des artistes comme Yellowman, Shabba Ranks et, plus tard, Sean Paul ou Beenie Man. Si le reggae roots véhicule souvent des messages spirituels et militants, le dancehall se veut plus léger, parlant de fête, d’amour, mais aussi de sujets urbains et sociaux.
Dans les années 1990 et 2000, le dancehall vole la vedette au reggae roots. Soutenu par une production toujours plus dense et des rythmes incisifs, il connaît son âge d’or avec des artistes comme Shabba Ranks, Buju Banton et Bounty Killer. Les riddims du dancehall envahissent les clubs du monde entier, tandis que des hits tels que "Gimme the Light" de Sean Paul ou "No Letting Go" de Wayne Wonder connectent avec un public bien au-delà de la Jamaïque.
À cette époque, le dancehall est à son apogée, combinant audace musicale et mass appeal. Les grandes collaborations aux États-Unis, notamment avec des artistes hip-hop (on pense à "Baby Boy" de Beyoncé et Sean Paul), permettent au dancehall de se hisser au rang de phénomène global. Mais pas question pour autant de le dissocier totalement du reggae. Le dancehall tire ses racines du reggae roots, tout en revitalisant les basses et en accélérant le tempo.
Si le dancehall a brillamment capté l’attention du public international, il doit aujourd'hui composer avec une concurrence croissante. Ces dernières années, nous assistons à une diversification des sons affiliés au reggae :
Le résultat ? Une scène musicale où le dancehall reste incontournable, mais où ses frontières s’entrelacent avec celles d’autres styles.
En se plongeant dans l’actualité musicale de 2023, il est clair que le dancehall conserve une place centrale. Shenseea, Popcaan, Skillibeng ou encore Spice continuent à dominer la scène avec des hits qui cumulent des millions de vues sur YouTube et des streams sur Spotify. Popcaan, notamment, a signé des collaborations internationales avec des artistes comme Drake (“Twist & Turn”) et Burna Boy, renforçant sa stature de star mondiale.
Cependant, la dynamique a changé. Alors que le dancehall des années 2000 était une culture en soi, influençant même le hip-hop et la pop, aujourd’hui, il est en dialogue constant avec d’autres genres musicaux. Les sons trap et drill font leur entrée sur les riddims, tandis que des artistes mainstream incorporent des vibes dancehall dans des hits pop. Paradoxalement, cela montre à la fois la puissance du dancehall comme influence culturelle, tout en diluant parfois son identité pour plaire au marché global.
Rien ne reste éternel dans l’industrie musicale, et le dancehall n’échappe pas à cette règle. Parmi les défis actuels :
Malgré ces défis, le dancehall continue d’accoucher de hits vibrants. La force du dancehall, c’est sa capacité à s’adapter, ses riddims toujours prêts à évoluer, et son esprit indocile.
Enfin, il ne faut pas oublier que la bataille reggae vs. dancehall reste, en grande partie, une question de perception. Là où certains verront un conflit entre tradition et modernité, d’autres célèbreront une continuité. Après tout, ces deux courants ne cessent de s’influencer mutuellement. Pensez à des artistes comme Buju Banton ou Chronixx qui traversent les deux mondes, ou encore à des riddims hybrides qui mêlent roots, dancehall et influences mondiales.
La vérité, c’est que loin d’être en opposition, reggae et dancehall partagent une riche conversation musicale qui évolue avec le temps. Et c’est justement cette diversité qui constitue la force de la musique jamaïcaine aujourd’hui.
Alors, le dancehall domine-t-il la scène reggae ? Oui, mais peut-être pas de la façon dont il le faisait il y a vingt ans. Si le dancehall reste une pièce maîtresse, il est désormais entouré d’une galaxie d’autres styles qui gravitent autour du reggae. Ce qui est certain, c’est que le reggae, dans toutes ses incarnations, continue d’enflammer les cœurs et les dancefloors partout dans le monde. Une scène vivante, en constante transformation, à l’image de l’énergie vibrante de la Jamaïque.
Alors, que vous soyez adeptes de riddims dancehall acérés ou de mélodies roots apaisantes, une chose est sûre : la musique jamaïcaine a encore de nombreuses pages à écrire, et chacune d’elles promet d’être passionnante.